Kim Lang : “Je suis inspiré par le tragique”
Moitié capverdien, moitié luxembourgeois, mais résidant à Londres ; rencontre avec Kim Lang, le photographe qui aime raconter des histoires.
Après des études d’histoire de l’art et de communication en Allemagne, tu as étudié la photographie à l’Université des arts de Londres. Pourquoi la photographie ?
L’histoire de l’art était un choix par dépit, c’est difficile de se déterminer en étant si jeune, surtout au Luxembourg où les opportunités sont restreintes. En revanche, j’ai toujours su que je voulais évoluer dans la pub alors j’ai étudié le design graphique et la communication. Puis naturellement mon intérêt s’est progressivement orienté vers la vidéo et la photo. Je me suis découvert une curiosité pour d’autres univers, la publicité ne m’épanouissant plus.
La photographie ne serait-elle pas la peinture sans pinceau ?
Elle peut l’être ! Je dirais qu’il y a des rapports évidents entre les deux, il peut y avoir une grande similitude entre les portraits sur toile et les portraits en photo. Mais la vraie différence réside dans la vraisemblance, la photographie procure toujours cette impression de “vrai”. Malgré l’artifice et la mise en scène, le spectateur expérimente une proximité plus intense. La peinture est une représentation artistique, elle offre une grande liberté d’expression artistique mais reste une interprétation ; et c’est ce qui est recherché. Chez Francis Bacon par exemple, l’objectif n’est pas de retranscrire ce qui est devant lui mais simplement de s’exprimer.
Dans ton travail on retrouve une grande diversité. Je pense notamment à ta série intitulée “Alice” dans laquelle tu mets en scène Alice Hurel, une mannequin atteinte d’alopécie. Y a-t-il chez toi une volonté de mettre en avant une pluralité de physiques ou est-ce le reflet du monde tel qu’il est ?
J’essaye de ne pas penser en quotas, je trouve cela dégradant. J’ai travaillé avec beaucoup de magazines et souvent on entend des phrases telles que : “il nous faudrait une asiatique et une noire”. Je trouve ça horrible. Il y a un réel besoin de représentation diverse mais si la démarche n’est pas sincère je trouve cela contre-productif. J’aime beaucoup photographier des groupes et j’essaye de montrer que chaque individu [au sein du groupe] a une origine et une histoire singulière ; finalement ce sont des gens que tu pourrais croiser dans la rue. Je ne fais pas de favoritisme ; les Naomi Campbell ne sont pas le seul standard de beauté, je vois de la beauté partout et elle mérite d’être vue. Avec Alice, ce qui est formidable, c’est qu’en la voyant on oublie qu’elle a perdu ses cheveux. Elle est empreinte d’une beauté, d’une grâce et d’une gentillesse qui effacent totalement sa maladie. Je travaille en ce moment sur des événements tragiques transformés en force, c’est merveilleux.
Introduis-tu des influences luxembourgeoises et capverdiennes, tes deux origines, dans ton travail ?
Consciemment, assez peu. J’ai fait une série de photos oranges dans laquelle je mets en scène des coiffures traditionnelles africaines, c’était l’occasion non seulement d’apprendre l’histoire de la coiffure mais aussi celle de mon pays dans un contexte de traite négrière. En revanche, au Luxembourg, les gens sont plus conservateurs et fermés d’esprit, j’essaye de montrer l’opposé de cette mentalité dans mon travail. Finalement ma famille m’a bien plus influencé que la culture elle-même.
Quelles sont tes inspirations ?
Je suis inspiré par les choses tragiques, je suis attiré par le pathétique mais j’y trouve une puissance et une certaine beauté. J’adore aussi la mythologie, grecque et égyptienne, ainsi que la royauté. Cependant je ne crois pas en la hiérarchie, c’est l’autonomisation des reines antiques qui me plait. Je voyage aussi beaucoup et construis des histoires autour des découvertes qui me paraissent fascinantes.
Tu as récemment shooté la couverture Bulgari pour le magazine Revolution, quel est ton rapport à la mode ?
J’adore m’amuser avec les vêtements, aller au Comic-Con déguisé ou fêter Halloween ; c’est donc le storytelling qui m’intéresse dans la mode. L’aspect symbolique et psychologique me fascinent aussi, porter une burka par exemple pour montrer sa fierté d’appartenir à une culture ou encore porter les bijoux de sa grand-mère est très fort symboliquement. Je dirais donc que je vois le vêtement comme un costume qui permet d’inventer des mondes et des personnages. La mode en tant qu’industrie ne m’intéresse pas.
Qui aurait été ton coloc’ de rêve le temps du confinement ?
Pour être honnête j’ai déjà un colocataire et on s’entend super bien mais ça ne me dérangerait pas d’être enfermé avec Rihanna ! J’ai un énorme crush sur elle.
Ta découverte du confinement ?
Juste une ? Ça fait deux mois, il y en a trop. Peut-être Black Mother de Khalik Allah, c’est un film documentaire sur la Jamaïque. Le réalisateur est aussi un photographe de rue et son film est incroyable, la réalisation est très onirique alors tu te perds dans son monde pendant 90 minutes. Je conseille à tout le monde de le voir !
Retrouvez Kim Lang sur son Instagram et sur son site.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Salomé Guez
Articles liés
“Riding on a cloud” un récit émouvant à La Commune
A dix-sept ans, Yasser, le frère de Rabih Mroué, subit une blessure qui le contraint à réapprendre à parler. C’est lui qui nous fait face sur scène. Ce questionnement de la représentation et des limites entre fiction et documentaire...
“Des maquereaux pour la sirène” au théâtre La Croisée des Chemins
Victor l’a quittée. Ils vivaient une histoire d’amour fusionnelle depuis deux ans. Ce n’était pas toujours très beau, c’était parfois violent, mais elle était sûre d’une chose, il ne la quitterait jamais. Elle transformait chaque nouvelle marque qu’il infligeait...
La Croisée des Chemins dévoile le spectacle musical “Et les femmes poètes ?”
Raconter la vie d’une femme dans sa poésie propre, de l’enfance à l’âge adulte. En découvrir la trame, en dérouler le fil. Les mains féminines ont beaucoup tissé, brodé, cousu mais elles ont aussi écrit ! Alors, place à leurs...